Equilibriste aux sources multiples, voyageur , Christophe Grimpard circule avec curiosité dans l’histoire de la peinture et du Nord au Sud. Le Mistral et le vent de Nordet peuvent souffler simultanément dans ses toiles, qu’elles soient intimistes, abstraites, scéniques, arboricoles ou nocturnes. Comme toute une génération formée dans les enseignements de l’Abstraction, il a gardé la double analyse des images de ceux qui rôdent au Louvre, et qui ne choisissent pas entre le passé et le présent.

En conversation avec des mondes aussi éloignés que David Lynch du Greco, il explore la voie fragile entre abstraction et figuration, opérant des choix d’éléments, dans un portrait d’ Hans Holbein, un album de Tom Waits, un tableau de Guy Van Bosch ou de Bacon, pour les ponts essentiels qu’ils constituent entre lui et le monde.

Nourri de ces collections disparates mais précises, récoltées lors de ses voyages réels ou immobiles, il les intègre dans une scénographie, un réglage, une toile. Et dès lors, il fait parler la peinture au moins aussi fort qu’une forme de scénario.L’image tiendrait toujours si l’on renversait la toile et les algues, les traces, les flaques, les jambes, les reflets sont tout cela à la fois et se répondent comme des allitérations.

Les masques tombent, brossés, sur des visages instantanés du quotidien ou du passé, réanimés à coups graphiques.

Dans ses portraits d’hommes à cravates, ne subsiste que le costume envahi par des lunettes démultipliées qui gueulent et dérangent la chemise. Les touches surajoutées cachent mais répètent la malsaine vérité d’enveloppes arrogantes ou vides, encombrées et révélées par des onomatopées grises, grassement appliquées. 

Une écriture inventée, bruyante, faite de signes, de cibles, autant de mots nouveaux pour réinjecter dans l’image comme une charge magnétique. Alors avalées par le tissu de la toile, les figures réintègrent le fond.

Tout ce qui apparaît peut disparaître, dans un jeu de plans et d’enchevêtrements réglé comme une machinerie. 

Parce que c’est une mécanique, physique et colorée qui retient ensemble ces images, doublée d’un tissage plus psychologique cette fois. Et on est  tenté de les suivre, ces intrigues, ces polars, fables ou numéros de cirque, on a d’ailleurs pas toujours le choix d’y basculer .

Entre les glacis aquatiques d’un manteau laissé vide par une créature éthérée, l’absurdité lyrique du discours d’un homme triomphant au milieu de trophées énigmatiques ou l’étrange tâche orange sur le sourcil d’un dormeur.

Cette  trace là précisément, dont il  semble qu’elle cumule à la fois l’évocation de l’inconscient du peintre, et l’audace du geste, l’affichage appuyé de la matière picturale brute. D’un simple point de peinture , l’oeil glisse de l’orangé à des terres brunes aux odeurs de forêts humides, suit les noirs, simultanément intrigué par le jeu formel et le roman qui ne cessent de se voler le premier plan.

Dans ces espaces complexes, peuplés de personnages intemporels, hybrides ou fantomatiques, les portes anciennes laissent place à des ébauches de cabanes, l’intérieur et l’extérieur se disputent et s’inversent. Bruyante, agitée, bavarde et parfois drôle la peinture de Christophe Grimpard reste le plus souvent inconfortable et libre, et nous permet d’approcher, pas toujours sans danger, des formes oniriques et brutes auxquelles il est rarement possible de donner un sens définitif.

Alice Marchesseau 2011