Il y a quelques années déjà, au moment où on comprenait qu’il nous faudrait vivre avec les peintures de Christophe Grimpard, que leur présence serait suffisamment forte, entêtante pour qu’on soit tenu de ne plus les effleurer d’un simple regard distrait, je lui avais dit que « j’aimais bien cette peinture malpolie ». Je ne sais plus vraiment pourquoi j’avais dit ça mais je sais que Christophe avait été amusé qu’on puisse parler comme ça de sa peinture.

La retrouvant aujourd’hui, je ne suis pas bien sûr que le qualificatif soit absolument pertinent.

Et pourtant, de prime abord …

« Malpolie » parce que sans concession, peu soucieuse de ce qu’on en pensera, de ce qui sera dit, ne s’encombrant jamais de ce genre de considérations, juste attentive à l’effet immédiatement provoqué et auquel il nous faut déjà répondre. En attendant d’y revenir, d’y repenser différemment, de l’envisager et la découvrir autrement, plus tard.

« Malpolie » parce qu’apparemment brute, brutale, le geste franc, net, affirmé. Et pourtant d’une infinie délicatesse quand on s’y attarde un peu et considère ces images dans le temps.

« Malpolie » jusque dans la palette apparente : une fidélité à des couleurs revêches, de celles que souvent on écarte, des couleurs mal aimables qu’on recouvre, qu’on dissimule : jaunes rabattus, verts dilués, roses indéfinis, bruns  tâchés, des couleurs au rebut, ici rachetées, et qui révèlent à l’arrivée, des harmonies inattendues, denses, profondes.

C’est, repensant à ce caractère apparent, contredit, à ce qualificatif, que je perçois mieux aujourd’hui ce qui m’attache tant à ce travail, et finit par avoir raison des contradictions premières.

Impression première :

D’abord, tout se passe comme si la toile présentait une image, une seule, incroyablement composite, pleine de fracas, d’effacements, d’amputations : un chaos.

Pourtant à la fois, ou petit à petit, le sentiment d’une très grande douceur, sentiment de cette délicatesse justement.

Et la découverte dans le temps, que les motifs reconnus sur la toile, seraient davantage trace d’une pensée, histoire d’une humeur, d’un état, que la simple représentation d’une seule image -collage-.

Il serait plus juste d’ailleurs, de parler de visions.

Et ce qui les inspire apparaît, impose sa présence, revient avec insistance. Puis se métamorphose, évolue d’une toile à l’autre, raconte aussi une autre histoire . Le geste du peintre prend le relais de ce que la tête vient d’apercevoir : l’image est à peine apparue, elle est déjà détournée, entraînée sur une autre pente, elle est ailleurs. Et la toile devient le lieu, la trace, le théâtre de tout ce processus.

L’espace peint se creuse, les premiers fragments représentés, dessinés, sont recouverts par de nouveaux, sans disparaître jamais. Tous, les uns après les autres, au fil de la pensée, des visions qui passent entre les poils du pinceau ; ou de ces autres représentations que ce geste même appelle ; tous habitent la toile, rien n’est effacé, tous vivent le même temps, le même espace, dans le creux de la toile.

En ce sens, si elles ne prétendent peut-être pas raconter une histoire, ces toiles savent se nourrir d’histoires multiples, ingérer celles que nous-mêmes apportons, celles que livre aussi notre regard.

Et puis il y a une drôlerie, une ironie parfois dans cette tambouille qui altère ou détourne les images premières. Et le regard amusé du peintre lui-même, face à ce qu’il est en train de faire, à ce qui lui arrive, laisse aussi, sur la toile son empreinte.

Alors ces peintures, qui se répondent les unes aux autres, donnent à voir ensemble un cheminement, plus qu’un accomplissement.

Des mondes parallèles vivent au même rythme, selon la même pulsation, tranquillement un quotidien foisonnant, généreux, en définitive apaisé, et qui nous rappelle ce que nous avons été, et oublions de devenir.

 

       J.C Leforestier  2012